26 décembre 2008

112. Hawks : Red River

1001 films de Schneider : Red River



Film américain réalisé en 1946 par Howard Hawks
Avec John Wayne (Dunson), Montgomery Clift (Matt), Joanne Dru, Walter Brennan, John Ireland (Cherry Valance)

Franchement, pour vous dire la vérité, j'avais pas vraiment envie de revoir ce film que, par ailleurs, j'avais complètement oublié. Les westerns, c'est pas vraiment mon pot de confiture. Je suis plutôt du côté de Bergman, Dreyer, Bresson, du côté "lourd, le film". Alors, les westerns, pfuitt. Mais si vous grattez un peu, vous verrez que j'aime aussi Spielberg, Zemeckis et même Adrian Lyne !

Un des 5 plus grands westerns de l'histoire du cinéma. Les autres : The Searchers, Once Upon a Time in the West et... je vous laisse le choix des deux autres.

Hawks met la hache dans le modèle traditionnel du cowboy au grand cœur et à la gâchette justicière. Dès les premières séquences, on découvre un John Wayne inattendu. Tout à coup il ne joue plus le personnage stéréotypé du cowboy magnanime. Lorsqu'il voit au loin des charriots en flamme parmi lesquels se retrouve sa fiancée qu'il a quittée quelques heures auparavant et qu'il dit à son compagnon qui l'incite à retourner pour lui porter secours qu'il ne sert à rien d'y aller parce qu'ils arriveraient trop tard, on reste bouche bée, d'autant plus qu'aucun signe d'émotion ne parcourt son visage. Cette séquence nous annonce des remises en question du western traditionnel.

En effet, le déroulement de l'histoire nous entraîne dans un tout autre chemin que celui habituellement tracé par les histoires de Far West. Imprévisible que cette histoire d'affrontement entre Dunson (figure paternelle) et Matt (fils adoptif) dans laquelle John Wayne et Montgomery Clift nous rejouent la mutinerie du Bounty transposée dans les prairies américaines.

Mais, malheureusement, cette œuvre qui devenait épique sera complètement bousillée par l'introduction d'un improbable personnage féminin (Joanne Dru) et par une séquence finale du plus pur happy-end hollywoodien merdique! C'est à pleurer.

En marge
Soixante ans avant Brokeback Mountain, une relation homosexuelle entre deux cowboys.
Montgomery Clift et John Ireland manifestent leur homosexualité à l'écran (manifestation subtile sinon le film aurait été bloqué par le code Hays) et derrière l'écran.

Montgomery Clift, dont l'orientation sexuelle (gay) était connue dans le monde du cinéma d'alors, eut quelques affrontements avec John Wayne, l'icône du conservatisme américain, dont les valeurs et les idées politiques étaient diamétralement opposées à celles de Clift. Cet affrontement culminera au moment où Wayne apprendra que Clift a des relations sexuelles avec John Ireland, le si bien nommé Cherry Valance de l'histoire. Wayne demandera, en vain, que Clift soit remplacé par un autre acteur.

Lecture para-cinéphilique :
Tendre est la nuit de F. Scott Fitzgerald
Lien cinéphilique : Antonioni, L'avventura : Anna (Léa Masari) lisait cette œuvre de Fitzgerald juste avant qu'elle ne disparaisse.
Tender is the night de Henry King, réalisé en 1962

Critique. Cahiers du Cinéma. Janvier 1963. Numéro 139. Par Éric Rohmer
Les 300 premiers numéros des Cahiers du Cinéma sur Archive.org

Visionné la première fois le 15 septembre 1975 à la télévision à Montréal
Mon 112ème film des 1001 films du livre de Schneider
Mis à jour le 30 janvier 2023

19 décembre 2008

111. Fosse : Cabaret

1001 films de Schneider : Cabaret


Film américain réalisé en 1972 par Bob Fosse
Avec Liza Minnelli, Michael York, Helmut Griem, Joel Grey

La scène du "biergarten".
Une des plus belles, des plus poignantes, des plus terrifiantes séquences qu'il m'ait été donné de voir dans toute ma carrière de cinéphile. Depuis 33 ans, quand je repensais à Cabaret ce n'était pas à Liza Minnelli, pourtant fabuleuse, que je repensais, ni aux séquences musicales du cabaret mais à cette chanson patriotique, montée en crescendo, qui m'avait à l'époque complètement bouleversée.

Que je n'aie jamais cherché à revoir cette séquence depuis 1975, demeure, aujourd'hui, après avoir revu cette séquence une dizaine de fois, un curieux mystère.

Oliver Collignon, le jeune nazi qui interprète (en fait, mime) le chant à la gloire de la renaissance vindicative de l'Allemagne, est troublant. D'angélique à démoniaque en trois minutes; une parenté certaine avec les jeunes blonds criminels de Funny Games U.S. de Michael Haneke. "Il y a quelque chose qui circule et qui n'a pas de nom, qui semble naître de la beauté même du soleil, mais qui est la force écrasante du mal." Michel Chion. Cahiers du cinéma. #339. Septembre 1982.

Si j'éprouve tant de terreur à voir cette séquence c'est parce que l'on connaît la suite de la chanson. Cette chanson se poursuit d'abord dans Le triomphe de la volonté (1935) de Leni Riefenstahl puis dans le roman Les Bienveillantes de Jonathan Littell.

Oh Fatherland, Fatherland,
Show us the sign
Your children have waited to see.
The morning will come
When the world is mine.
Tomorrow belongs to me!

Toute cette séquence est bâtie sur le mode crescendo : le texte passe du bucolique au vindicatif; la chanson, d'abord chantée a cappella, se termine par un accompagnement orchestral complet. La structure filmique appuie ce crescendo par l'inclusion de plans qui viennent souligner le caractère revendicateur de ce chant patriotique.

La séquence est constituée de 41 plans.
Les 13 premiers plans soulignent le caractère "bon enfant" de la mélodie avec quelques gros plans sur le visage poupin du chanteur.
14ème plan : Gros plan sur le visage colérique du chanteur.
À partir de ce moment, tout bascule.
Les plans suivants nous montrent plusieurs gros plans de personnes (deux jeunes filles particulièrement) hurlant les mots de la chanson. L'arrivée de ces personnes, par le bas, dans le champ de la caméra accentue la violence de la scène.
Le salut nazi du chanteur, au 37ème plan, marque le point culminant de cette scène ; on sent que la terrible unanimité derrière le grand mouvement populiste est atteinte. La machine est en marche, rien ni personne ne l'arrêtera.



Bon, maintenant, toute la vérité sur cette chanson :
Tomorrow Belongs To Me a été composée, spécifiquement pour le film, par John Kander et Fred Ebb dans le plus pur style des chants nazis pour la jeunesse. Ceci n'enlevant rien à la charge émotive vécue dans la séquence de l'auberge parce qu'il est impossible de croire qu'elle n'est que fictionnelle.

Chemin de traverse québécois
"À partir d'aujourd'hui, demain nous appartient"
Chanson-thème du Parti Québécois pour la campagne électorale des élections de novembre 1976 lors desquelles il devint le premier parti indépendantiste à accéder à la direction de l'État québécois.

Des esprits chagrins ou malicieux de la communauté anglophone (qu'on appelle maintenant les angryphones (note de 2023)) ont outrageusement fait un parallèle entre ce slogan publicitaire et un hypothétique hymne de la jeunesse hitlérienne (à moins qu'ils n'aient cru comme tous les spectateurs de Cabaret que Tomorrow Belongs To Me fut vraiment un hymne nazi), dans le but évident de dévaloriser le projet indépendantiste québécois en y accolant les horreurs totalitaires nazies.

On verra apparaître à nouveau ce type de tactique de bas étage lors des référendums de 1980 et de 1995 (référendums qui demandaient au Québécois de donner un mandat au gouvernement du Québec afin d'entamer des négociations avec le gouvernement canadien pour son accession à la souveraineté), l'approche sera différente mais tout aussi odieuse lorsqu'un caricaturiste d'un hebdo culturel anglophone de Montréal associa Jacques Parizeau (alors premier ministre du Québec) et Lucien Bouchard (alors chef du Bloc québécois au parlement canadien), les leaders de la campagne en faveur de la souveraineté du Québec, aux membres du Ku Klux Klan en les affublant du sinistre drap blanc.

Un grand merci à Bob Fosse pour avoir démoli le modèle de la comédie musicale en cannes de bonbon.

L'origine de tout ça : Berlin Stories de Christopher Isherwood.
Son livre a été transposé d'abord au théâtre par John van Druten sous le titre I Am a Camera, en 1951, puis repris, sous le même titre, en 1955, au cinéma par Henry Cornelius. Puis il fit l'objet d'une comédie musicale, sous le titre de Cabaret, qui fut montée pour la première fois en 1966, à Broadway, dans une mise en scène d'Harold Prince. Et enfin, Bob Fosse arriva.

Critique. Cahiers du Cinéma. Septembre 1982. Numéro 339. La comédie musicale rêve au réalisame par Michel Chion. À propos de la scène de l'auberge : " il y a quelque chose qui circule et qui n'a pas de nom, qui semble naître de la beauté même du soleil, mais qui est la force écrasante du mal. "

Oscar 1973 : Huit statuettes contre 3 seulement pour The Godfather (surprenant, non ?). Bob Fosse, réalisateur, Liza Minnelli, actrice et Joel Grey, acteur de soutien, caméra, décor, son, montage, chanson originale.

Visionné la première fois le 13 septembre 1975 au cinéma à Montréal
Mon 111ème film des 1001 films du livre de Schneider
Mis à jour le 25 février 2023

09 décembre 2008

110. Polanski : Chinatown

1001 films de Schneider : Chinatown


Film américain réalisé en 1974 par Roman Polanski
Avec Jack Nicholson (Détective Gittes), Faye Dunaway (Evelyn Cross Mulwray), John Huston (Noah Cross), Perry Lopez

On plonge dans Chinatown, film noir en couleurs, comme on plonge dans un vieux film des années 40.

Tout concourt à nous ramener à la grande période du film noir dont les ingrédients sont : un ex-policier recyclé en détective privé désabusé (Nicholson), une femme fatale (Dunaway) dont les habiletés dans la manipulation feraient passer le département d'État américain pour une troupe d'opérette, un scénario dont la complexité fait chuter votre Q.I. de 50 points (le summum de la complexité d'un film noir classique : dans The Big Sleep, même le réalisateur n'arrivait pas à expliquer où étaient passés certains personnages de l'intrigue), la corruption généralisée, une fin tragique, un tas de séquences nocturnes et une cinématographie en noir et blanc.

Pourquoi un tel titre alors que l'action ne s'y déroule que lors de la dernière séquence ? 
C'est que le mot "chinatown" ne renvoie pas tellement à un lieu physique qu'à un état émotionnel. Chinatown, c'est la confusion, c'est le désordre, c'est le royaume de l'irrationnel ; le détective Gittes (Nicholson), qui fut un temps à l'emploi du LAPD (Los Angeles Police Department) dans Chinatown, y perdit tous ses repères et la mort de sa maîtresse le conduisit directement vers la porte de sortie du LAPD.

Mais il y a un retour du refoulé : Chinatown vient constamment s'immiscer dans la vie de Gittes tout au long de son enquête et l'on n'est aucunement surpris qu'elle s'achève dans le chaos le plus total, dans Chinatown.

Autre grand retour :
Polanski retourne à Los Angeles pour la première fois depuis l'assassinat, le 9 aout 1969, dans sa villa de Bel Air, L.A., de son ex-femme, Sharon Tate, par la "famille" de Charles Manson.

Il n'était donc pas question que Chinatown se termine par un "happy end" tel qu'exigé par le scénariste Robert Towne.

Critique. Cahiers du Cinéma. Février 1975. Numéro 256. La Ville des feintes par Pascal Kané
Les 300 premiers numéros des Cahiers du Cinéma sur Archive.org

Oscars 1975. Meilleur scénario

Visionné la première fois le 25 avril 1975 au cinéma à Montréal
Mon 110ème film des 1001 films du livre de Schneider
Mis à jour le 25 février 2023

03 décembre 2008

109. Friedkin : The Exorcist

1001 films de Schneider : The Exorcist


Film américain réalisé en 1973 par William Friedkin 
Avec Hellen Burstyn, Linda Blair (Regan), Jason Miller, Lee J. Cobb, Max von Sydow et la voix de Mercedes McCambridge (la voix du démon dans le corps de Regan).
Musique : la mémorable pièce de Mike Oldfield, Tubular Bells.

J'adore cette affiche en noir et blanc, une des plus belles affiches de cinéma que je connaisse.
Inspirée de la toile de René Magritte, L'Empire des lumières.















Ce film : ma première grande frousse (et ma plus grande à ce jour) au cinéma; plus spécialement cette séquence qu'on intitule The Linda Blair Head Spin

Des jours à revoir, au moment de m'endormir, la tête de Linda Blair pivotant sur 180 degrés.
Elle me donnait vraiment les "jetons", comme on dit en anglais "She gave me the creeps".

Mais ne vous laissez pas trop influencer par ce comportement. Si vous n'avez jamais vu ce film, il est possible que vous vous esclaffiez en le voyant et que vous en fassiez le Rocky Horror Picture Show du film de peur.

Mais si vous l'avez vu à sa sortie, à moins d'avoir été complètement de mauvaise foi (à rebrousse-poil de la publicité) ou y avoir vu, comme les critiques des Cahiers du Cinéma d'alors, une grande allégorie de la crise du capitalisme mondial (ah bon! le capitalisme est en crise : stéréotype répété à plus soif par la gauche-à-papa), vous avez sûrement dû sentir passer une légère brise sur votre système pileux, à quelques reprises.

Autre séquence terrifiante : la "marche de l'araignée" (Regan qui descend l'escalier, le corps renversée) dans la nouvelle version du film, sortie en 2000. Cette séquence avait été éliminée de la première version. Si elle avait été conservée, ce n'est pas des ambulanciers qu'il aurait fallu poster à la porte des cinémas mais le service de la morgue.

Cherchons Bergman sous Friedkin :
1. Un des personnages, un prêtre, dit "God deserted the World". N'est-ce pas une des grandes thématiques bergmaniennes.
2. Présence de Max von Sidow, qui a joué dans 11 films de Bergman, dans le rôle du vieux prêtre archéologue.
3. Toute la partie de l'exorcisme nous ramène au temps du film Le Septième sceau qui se passe à l'époque des grandes épidémies de peste qui suscitaient la fureur religieuse avec toute sa panoplie de pénitents, de tortures, de malédictions et de présences diaboliques.
4. Roger Ebert, un de mes critiques américains préférés : "The year 1973 began and ended with cries of pain. It began with Ingmar Bergman's Cris et chuchotements and it closes with William Friedkin's The Exorcist. Both films are about the weather of the human soul, and no two films could be more different. Yet each in its own way forces us to look inside, to experience horror, to confront the reality of human suffering."

Critique. Cahiers du Cinéma. Octobre 1974. Numéro 253. Le Secret derrière la peur par Pascal Kané
Les 300 premiers numéros des Cahiers du Cinéma sur Archive.org

Oscars 1974. Deux statuettes : Son, scénario tiré d'une autre source.

Visionné la première fois le 25 janvier 1975 au cinéma St-Denis à Montréal
Mon 109ème film des 1001 films du livre de Schneider
Mis à jour le 25 février 2023