28 mai 2008

91. Melville : Le Samouraï

1001 films de Schneider : Le Samouraï


Film français réalisé en 1967 par Jean-Pierre Melville
Avec Alain Delon, François Périer, Nathalie Delon et Cathy Rosier.

D'abord, le titre : le monsieur Melville, il exagère quelque peu. On est plus en présence d'un "film noir" que d'un film de samouraï. Le dénuement, la solitude, l'absence d'émotion apparente de Jeff Costello (Alain Delon) peuvent peut-être faire illusion mais celui-ci fait plus partie de l'univers amoral des tueurs à gage solitaires que du monde des samouraïs. Un samouraï n'accepterait jamais de tuer pour de l'argent. On est à des années-lumière du bushido.

Le samouraï a dû apparaître comme un drôle d'ovni dans le ciel de la production cinématographique française des années 60 qui était caractérisée par la prise de parole politique (pensons au cinéma de Godard). Quand le film sort sur les écrans, on est aux portes de l'année 68 où toute la vie sera évaluée à l'aune de la lutte des classes. Slogans : "Tout est politique" "Si tu ne t'intéresses pas à la politique; la politique, elle, s'intéresse à toi". Melville tombait bien mal avec son Jeff Costello aux préoccupations bassement individualistes. Toute la presse de gauche lui "fera sa fête". Les Cahiers du Cinéma (numéro 196, décembre 1967) ne lui accorderont que quelques lignes, ravageuses et frôlant le mépris.

Jeff Costello est un personnage échappé d'un film de Robert Bresson; il pourrait être le grand frère de Michel du film Pickpocket. Même impassibilité, même absence d'émotion, même visage de marbre; tous les deux aux marges de la psychose.

Le film de Frank Tuttle, This Gun for Hire, réalisé en 1942, un modèle du film noir, est souvent cité à titre de références de Melville pour la réalisation de Le samouraï .

  
Alan Ladd et Veronica Lake dans This Gun for Hire.
La ressemblance (physionomie et costume) entre Alan Ladd et Alain Delon est sidérante

L'affiche du film me fait penser à une couverture d'un roman de San Antonio. Le titre serait Les amours, aïe! aie! aie!...

Critique. Cahiers du Cinéma. Décembre 1967. Numéro 196. Par Jean Narboni
Les 300 premiers numéros des Cahiers du Cinéma sur Archive.org

Visionné, la première fois, en 1971 à la télévision à Québec
Mon 91ème film visionné de la liste des 1001 films du livre de Schneider
Mis à jour le 23 janvier 2023

22 mai 2008

90. Kurosawa : Rashômon

1001 films de Schneider : Rashômon


Film japonais réalisé en 1950 par Akira Kurosawa
Avec Toshiro Mifune, Machiko Kyô, Masayuki Mori, Takashi Shimura.

Un film japonais.
Je perds tout sens critique quand je vois un film japonais tourné durant cette période (1930-1970). Je suis un inconditionnel des Kurosawa, Mizoguchi, Kobayashi, Shindo, Ozu, Teshigahara
.
Déjà, à 20 ans, lors de mes nuits de ciné-club de la télévision de Radio-Canada, fin des années 60, sur une télé en tons de gris (les noirs et les blancs s'étant fait la valise depuis belle lurette), je m'extasiais devant tous ces films de samouraïs à la lame justicière. Harakiri de Masaki Kobayashi fut le premier à m'initier à cette passion!

Rashômon : la porte du dieu Rasho à Kyoto au 12ème siècle
Assis sous le portique de cette porte délabrée, à l'abri d'une pluie diluvienne comme on n'en voit que dans les films japonais (et dans la série Lost!!!), trois personnes racontent les quatre versions entendues d'un crime impliquant un samouraï, son épouse (superbe interprétation de Machiko Kyô, oubliée à cause de la présence de Mifune) et un bandit de grand chemin (Toshiro Mifune, plus grand acteur japonais de tous les temps avec 186 films à son actif) Sa prestation, trop marquée, à la limite du cinéma muet, m'a assez agacé jusqu'à ce que je lise que Kurosawa lui avait demandé de modeler son interprétation sur celle d'un lion.)

Le génie du film est dans la narration : confuse à souhait par l'utilisation de flashbacks qui se contredisent et qui ne permettent pas aux spectateurs de trouver une solution à l'histoire racontée.

Mais pour moi, le coup de génie de ce film réside dans les dernières séquences qui, oubliant les péripéties de l'histoire, plongent au coeur de la condition humaine.

Une fin de film comme un Envoi : Sous le marécage de la vanité, de l'égoïsme, du mensonge et de la haine, la petite flamme de la bonté humaine vacille mais tient bon.


Une réplique de la porte de Rashomon telle que construite pour le film Rashomon. La porte originale est disparue depuis des centaines d'années. Une pierre commémorative indiquant son site se retrouve à Kyoto.

Que vient faire le Boléro de Maurice Ravel dans cette forêt du 12ème siècle???
Assez déconcertant. Dissonance certaine entre deux époques que dis-je entre deux civilisations. 
Le Boléro
Répétées cent-soixante neuf fois par la caisse claire (soit 4056 battements), ces deux mesures d’ostinato donnent au Boléro de Ravel son rythme uniforme et invariable.

Le Boléro au cinéma
1936 : One in a Million de Sidney Lanfield
1950 : Rashōmon de Akira Kurosawa
1957 : El Bolero de Raquel de Miguel M. Delgado
1977 : Allegro non troppo de Bruno Bozzetto
1979 : Elle de Blake Edwards
1979 : Stalker d'Andrei Tarkovsky
1981 : Les Uns et les Autres de Claude Lelouch. Séquence magistrale.
1992 : Le Batteur du Boléro, court-métrage de Patrice Leconte avec Jacques Villeret dans le rôle du batteur
2002 : Femme fatale de Brian de Palma
2003 : Basic de John McTiernan
2004-2006 : Cashback de Sean Ellis

Critique. Cahiers du Cinéma. Mai 1952. Numéro 12. Rashomon et le cinéma japonais par Curtis Harrington.
Les 300 premiers numéros des Cahiers du Cinéma sur Archive.org

Venise 1961. Lion d'or et prix des critiques italiens.

Visionné, la première fois, en 1971 à la télévision à Québec
Mon 90ème film de la liste des 1001 films du livre de Schneider
Mis à jour le 23 janvier 2023

18 mai 2008

89. Dreyer : La Passion de Jeanne d'Arc

1001 films de Schneider : La Passion de Jeanne d'Arc


Film français réalisé en 1928 par Carl Theodor Dreyer
Avec Maria (Renée) Falconetti, Eugène Silvain, André Berley, Maurice Schutz, Antonin Artaud

Un des plus formidables huis-clos de l'histoire du cinéma. Sensation d'étouffement tellement les plans rapprochés se succédant à un rythme rapide nous emprisonnent dans cet univers inquisitorial. Jamais, pendant tout l'interrogatoire, n'avons-nous une vue d'ensemble de ce tribunal qui s'acharne sur la Jeanne. Étouffement tel que la sortie de Jeanne de la prison en direction de l'échafaud nous apparaît comme un immense soulagement. Enfin, un espace ouvert. Le bûcher libérateur.

Dreyer a monté le film en 1500 plans. Parmi ceux-ci, j'ai compté 403 très gros plans du visage de Jeanne.

Une prestation de comédienne qui n'a que le visage (sans voix, sans corps) pour exprimer toute la gamme des émotions vécue par un personnage soumis à un tribunal d'Inquisition. Falconetti accomplit une prouesse jamais égalée dans toute l'histoire du cinéma.

Je suis en amour avec Falconetti : ses yeux, sa bouche, sa détresse; aucune actrice à cette époque (que dis-je toutes les époques) n'offre une telle prestation. Une si grande détresse avec une telle retenue, c'est inoubliable.

Si vous n'êtes pas touchés, c'est parce que, comme dirait Amélie Poulain, vous êtes moins qu'un légume car même les artichauts ont un cœur.

Falconetti est morte, oubliée, à Buenos Aires en 1946.

Lecture cinéphilique : Hitchcock/Truffaut.
Hitchcock a beaucoup adapté d'œuvres littéraires. Alors la sempiternelle question de la détérioration de l'œuvre littéraire lors de son adaptation cinématographique est revenue le hanter tout au long de sa carrière. Lorsque Truffaut soulève cette question, il répond par cette amusante petite histoire :
"Deux chèvres sont en train de brouter les bobines d'un film. Lorsque l'une demande à l'autre si elle se régale; cette dernière lui répond qu'elle aimait mieux le livre."

Critique. Cahiers du Cinéma. Février 1952. Numéro 9. Par Lo Duca. Novembre 1952. Numéro 17. La Voix du silence par Amédée Ayfre
Les 300 premiers numéros des Cahiers du Cinéma sur Archive.org

Visionné, la première fois, en 1971 à la télévision à Québec
La version visionnée en 1971 était bien étriquée (70 minutes au lieu de 82). Ce n'est qu'en 1981 qu'on trouva dans un asile psychiatrique (!!!) de Norvège la version originale qu'on croyait avoir perdu dans les flammes au début des années 30. La bande sonore qui accompagne cette version, Voices of Light, composée en 1985 par Richard Einhorn, est un oratorio inspiré par le film : magistral.
Mon 89ème film visionné de la liste des 1001 films du livre de Schneider
Mis à jour le 22 janvier 2023

09 mai 2008

88. Lang : Metropolis

1001 films de Schneider : Metropolis


Film allemand réalisé en 1927 par Fritz Lang
Avec Alfred Abel, Gustav Fröhlich, Rudolf Klein-Rogge, Brigitte Helm
D'après le roman de Thea von Harbou, Metropolis.

Quel feu d'artifice!
Les spectateurs ont dû être complètement pétrifiés par la démesure de cette œuvre. Pas de précédents dans une telle démesure. Birth of a Nation de Griffith qui pourrait s'en approcher est maintenue à distance par son scénario connu par tous à travers les livres d'histoire. Avec Metropolis, on sort du temps et de l'espace connu. Le scénario, assez simple, s'efface derrière le gigantisme des décors et de la figuration (37,000 personnes). Coût de la production converti en dollars d'aujourd'hui : 200 millions$

Metropolis fait partie de cette vision idéologique récurrente du progrès et de la science : ceux-ci nous mènent tout droit vers l'enfer. Metropolis a ouvert la voie à une pléthore de films qui nous dépeindront la ville comme un lieu dantesque : Blade Runner, Dark City, The Fifth Element, Solyent Green (Titre français: Soleil vert, film sous-estimé), etc. On aime bien se faire peur. 

On a cru un moment que les villes occidentales se dirigeaient vers cette destinée (pensons à New York des années 1970; je me souviens, lors de ma première visite à New York en 1979, être arrivé dans la ville par le tunnel Lincoln qui aboutit sur la 42ème rue, découvrant une dizaine de voitures désossées et criblées de balles) mais, dans un sursaut salutaire, les villes occidentales, même les plus grandes, sont redevenus des lieux de désirabilité résidentielle. La ville-centre qui, pendant des décennies, s'est vidée de sa population au profit des banlieues (surtout dans les villes nord-américaines) devenant des lieux de désolation et de criminalité élevée est à nouveau réinvestie par les populations. Renaissance de la ville : les industries ont quitté le cœur des villes, les espaces résidentiels ont été rénovés, les cours d'eau ont été dépollués, des parcs ont été aménagés, les rues piétonnes se sont développées, la rue principale a repris vie. Il fait bon, à nouveau, habiter au cœur des villes; l'augmentation exorbitante du prix des logements en fait foi. Comme quoi, le pire n'est pas toujours certain.

Metropolis : la ville de 2006 (année indiquée dans le roman).


En réalité, cette photo me fait plus penser aux villes d'Amérique du Nord des années 1960-1970, à l'époque de ce qu'on appelait le "urban renewal" (démolir la ville ancienne obsolète afin d'y reconstruire une ville à la Le Corbusier : tours à bureau, tours résidentielles, reliées par des autoroutes qui pénètrent au cœur de la cité). Voir ci-dessous un projet pour le quartier médiéval du Marais à Paris qui devait disparaître pour laisser place au Plan Voisin, œuvre de Le Corbusier.


Heureusement, Paris a échappé à ce massacre. Le futur, d'accord, mais ailleurs, pas au détriment de l'histoire de la ville. Et c'est bien ailleurs, à La Défense, que les promoteurs de ce type de développement ont appliqué les grandes théories urbanistiques de Le Corbusier

Si je m'emballe tellement à chaque fois que la question urbaine apparaît c'est qu'on entre au cœur de ma vie professionnelle : 31 ans d'enseignement consacré au Monde urbain. Ça laisse des traces indélébiles.

Grande faille dans ma cinéphilie : je n'ai jamais vu Metropolis sur grand écran. 

Octobre et Metropolis résolvent la lutte des classes !
Deux films tournés en 1927 par deux des plus grands réalisateurs de cette époque : Eisenstein et Lang
Deux films qui traitent de la même thématique : la lutte des classes et sa résolution.

Coïncidence jamais soulignée dans les articles lus consacrés à ces deux films.
Si la résolution de la lutte des classes par le renversement du pouvoir en place par la population (thèse défendue par Eisenstein dans Octobre) nous apparaît pratiquement incontournable dans un régime dictatorial, comment regarder sans rire la résolution de la lutte des classes proposée par Lang dans Metropolis. 

Dans la thèse défendue par Lang et, incidemment, par le régime nazi qui s'apprête à prendre le pouvoir, le capital (la bourgeoisie vivant au sommet de Metropolis) et le travail (la masse obscure des travailleurs dont les quartiers sont enfouis dans les catacombes de la ville) apprennent à collaborer dans l'harmonie et l'amour pour le bon fonctionnement de Metropolis.

Visionné, la première fois, en 1971 à la télévision à Québec.
Mon 88ème film visionné de la liste des 1001 films du livre de Schneider
Mis à jour le 22 janvier 2023

01 mai 2008

87. Eisenstein et Alexandrov : Octobre

1001 films de Schneider : Octobre
Titre anglais : Ten Days That Shook the World


Film soviétique réalisé en 1927 par Sergei M. Eisenstein et Gregori Alexandrov
Avec Vladimir Popov, Vassili Nikandrov, Layaschenko

Propagande 101
On ne s'attardera pas sur le contenu de cette oeuvre de commande pour commémorer le 10ème anniversaire de la prise de Petrograd-Leningrad-St-Pétersbourg par les Bolchéviques. La valeur historique de ce document est totalement compromise par l'ombre omniprésente du petit père des peuples (Staline) qui impose autocensure d'abord puis, on n'est jamais mieux servi que par soi-même, taille dans le produit fini pour le rendre plus conforme à la vision du pouvoir en place; par exemple, de nombreux plans où on retrouvait le personnage de Trotski ont été supprimés.

J'ai lu certaines analyses qui traitaient d'Octobre comme si c'était un documentaire; on en est à des années-lumière. Il faudrait parler plutôt de docu-menteur ou de documen-taire.

Pour prendre la mesure de la situation, imaginez Bush commandant à Spielberg de faire un film commémorant le cinquième anniversaire de la prise de Bagdad par les Américains; le dit film étant évidemment supervisé par les néo-cons(ervateurs) de Washington. On parlerait du canular du siècle dans les salles de rédaction tant une telle situation serait impensable.

Octobre est un poème symphonique, un oratorio, une épopée "à la Chanson de Roland", n'y cherchons pas une analyse historique scientifique de la Révolution d'Octobre.

Si Octobre est un chef-d'œuvre de l'histoire du cinéma c'est, évidemment, au traitement cinématographique qu'il le doit. Une grande partie de l'art cinématographique d'Eisenstein est rassemblé dans cette œuvre. Il définit une forme de langage cinématographique qui caractérisera toute son œuvre. Selon Eisenstein, un film devrait pouvoir se passer d'intertitres (voir Le Dernier des hommes de Murnau) ou du moins les utiliser au minimum; certains éléments stylistiques du langage cinématographique devraient compenser la parole ou le texte. C'est ce que Eisenstein veut démontrer et Octobre est une complète réussite à ce niveau.

Deux éléments stylistiques retenus :
1. Montage rapide et saccadé des plans.
Au début du film, 60 secondes, 20 plans. Impression d'urgence; insurrection du peuple comme une débâcle au printemps.
Pour demeurer fidèle à la comparaison mentionnée plus haut, vous ne pourrez pas vous empêcher de faire le parallèle entre la destruction de la statue du Tsar et celle de Saddam Hussein, un certain 9 avril 2003.
2. Le "montage intellectuel"
Créer une signification nouvelle par la juxtaposition de deux images ou de deux plans successifs qui, pris séparément, n'ont pas cette signification. C'est la juxtaposition qui crée le sens.
Par exemple, un plan de Kerensky, chef du gouvernement provisoire que veulent renverser les bolchéviques parce qu'il reproduit à nouveau l'ancien pouvoir impérial tsariste, est suivi d'une image de Napoléon. Reçu 10 sur 10 mon capitaine!

Aujourd'hui, cette technique fait les beaux jours de la caricature ou de la pancarte de manifestation; c'est probablement pour ça que les films d'Eisenstein nous apparaissent souvent comme d'énormes caricatures d'autant plus qu'ils étaient la plupart du temps des commandes du pouvoir en place.

Lecture cinéphilique
Hitchcock/Truffaut.
Probablement, le plus célèbre livre sur le cinéma jamais écrit. Entre 1962 et 1966, tous les étés, Truffaut rencontre Hitchcock à Universal City à Hollywood et lui pose des questions (plus de 500) sur son œuvre. Chacun de ses films est analysé.

Contrairement au milieu cinématographique européen où Hitchcock est considéré comme un des plus grands réalisateurs de l'histoire du cinéma, l'ensemble des critiques américains le considérait plutôt comme un cabotin qui développait une œuvre facile destinée au grand public. Ce qui faisait dire à un de ses critiques s'adressant à Truffaut : "Ce livre fera plus de mal à votre réputation en Amérique que votre plus mauvais film" Truffaut ajoute : "Heureusement, Charles Thomas Samuels se trompait et il se suicida un ou deux ans plus tard, pour de meilleures raisons, j'espère."

Critique. Cahiers du Cinéma. Janvier 1967. Numéro 186. Ici Leningrad par Michel Petris
Les 300 premiers numéros des Cahiers du Cinéma sur Archive.org

Visionné, la première fois, le 14 décembre 1971 à la télévision à Québec

Mon 87ème film visionné de la liste des 1001 films du livre de Schneider
Mis à jour le 22 janvier 2023