23 mars 2008

80. Resnais : Nuit et brouillard

1001 films de Schneider : Nuit et brouillard


Film français réalisé en 1955 par Alain Resnais 
Texte de Jean Cayrol. Narrateur : Michel Bouquet

Ça fait mal. On dira probablement que je suis un "bleeding heart" mais je souffre beaucoup en lisant sur le blog littéraire de Pierre Assouline du journal Le Monde la position idéologique d'un certain Immanuel Wallerstein par rapport au droit d'ingérence. Assouline dit :"Wallerstein met les ONG au rang des États et dénonce dans le droit d’ingérence la forme la plus sournoise de néo-colonialisme que le néo-libéralisme a su inventer pour asservir les peuples comme autrefois. " Message du 21 mars 2008.

Il est impossible après avoir visionné Nuit et brouillard de lésiner sur le droit d'ingérence dans les cas de génocides ou de massacres systématiques de populations. La seule hésitation acceptable est au niveau du devoir d'ingérence. Doit-on intervenir ou justifier son inaction par une argumentation basée sur la panoplie de concepts et de slogans ressassés par une gauche qui s'est fait avoir par toutes les dictatures communistes du siècle dernier ? Bon, on se calme; y a pas le feu. À ma décharge, il faut dire que j'ai été surpris d'avoir été si ému en revoyant Nuit et brouillard. On pense qu'on oublie, qu'on s'endurcit puis, tout à coup, une barre au creux de l'estomac. Et le devoir d'ingérence devient la seule posture humainement acceptable.

Dans les années 1950, dans le quartier ouvrier de Limoilou à Québec, on parlait rarement de la seconde guerre mondiale qui nous semblait déjà un passé lointain. Il me semble n'avoir jamais entendu parlé du génocide du peuple juif de toute mon enfance. C'est seulement à 13 ans, que j'entendis, pour la première fois, parler de l'extermination des Juifs d'Europe dans les camps de concentration nazis. Il fallut le célèbre procès d'Adolf Eichmann en 1960 pour qu'enfin je puisse prendre conscience de cette effroyable réalité. Tous les jours, la télé et les journaux décrivaient et montraient les scènes d'horreur des camps d'extermination nazis. Mais à 13 ans, l'enfance est encore un sacré bouclier contre les horreurs du monde adulte. Alors, ce ne fut que 11 ans plus tard, lors du visionnement de Nuit et brouillard, que toute l'ampleur de ce désastre humanitaire me frappa de plein fouet.

En trente minutes, la machinerie de l'holocauste est fixée à jamais pour la postérité. La juxtaposition d'images d'archives tournées à la libération des camps et d'images actuelles (1955), en couleur, des mêmes lieux envahis par la verdure, est un vibrant appel au travail de mémoire.

De quelques infamies :
1. Le film, choisi à l'unanimité par le comité de sélection pour participer à la compétition au Festival de Cannes, est interdit de compétition par le gouvernement français à la suite à des pressions du gouvernement allemand.
2. Le comité de censure oblige Resnais à maquiller le képi d'un gendarme français qu'on voit participant à l'embarquement de Juifs au camp de Pithiviers.
3. Interdit d'exploitation en Suisse en raison de sa neutralité dans le conflit de 39-45. Neutralité dans un tel cas, c'est presqu'un crime contre l'humanité.

De Jean Cayrol, le rédacteur du texte : Durant la Seconde guerre mondiale, Jean Cayrol s'engage dans la Résistance. Il est arrêté en 1942 après avoir été dénoncé et est déporté N.N. (Nacht und Nebel, Nuit et Brouillard) au camp de concentration de Mauthausen-Gusen. Cette expérience est à l'origine de ses Poèmes de la nuit et du brouillard publié en 1945.

Tibet. Droit ou devoir d'ingérence? Il semble bien que "nobody gives a damn". 300 000 personnes dans les rues de Montréal il y a 5 ans pour s'opposer au renversement de la dictature sunnite de Saddam Hussein mais personne dans ces mêmes rues pour le Tibet; idem pour le Rwanda, le Darfour, la Tchétchénie. L'histoire repasse en boucle.

Un extrait du film que je dédie à un peuple que nous avons abandonné dans la nuit et le brouillard, les Coréens du Nord "...et qui n'entendons pas que l'on crie sans fin"

Critique.
Cahiers du Cinéma. Mai 1956. Numéro 59. Le Massacre des innocents par Jacques Doniol-Valcroze.
Les 300 premiers numéros des Cahiers du Cinéma sur Archive.org

Visionné, la première fois, le 2 août 1971 au théâtre de l'Estoc à Québec
L'Estoc était un des plus beaux théâtres de poche de Québec, situé sur la rue St-Louis, à l'ombre du Château Frontenac.
Mon 80ème film visionné de la liste des 1001 films du livre de Schneider
Mis à jour le 21 janvier 2023