29 novembre 2008

108. Polanski : Répulsion

1001 films de Schneider : Répulsion


Film anglais réalisé en 1965 par Roman Polanski
Avec Catherine Deneuve, Yvonne Furneaux, Ian Hendry

Excellente étude de cas de psychopathologie.

Attention : chemin de traverse
Pendant mes études en psychologie dans les années 80, un professeur nous avait demandé de faire l'analyse d'une psychopathologie à partir d'un personnage tiré d'une œuvre littéraire. J'avais alors choisi d'analyser la pathologie de Joseph Day, le personnage principal du roman de Julien Green, Moïra.

C'était un cas de névrose obsessionnelle; en gros, un montage caractériel pour empêcher la remontée de pulsions sexuelles insuffisamment enfouies dans le Ça; dans ce cas-ci, des pulsions homosexuelles. Joseph Day, en fait, est un avatar pour Julien Green qui a passé toute sa vie à essayer d'enterrer ses propres pulsions homosexuelles sous un catholicisme rigide frisant la bondieuserie mais, tel que l'on voit dans son Journal intégral. 1919-1940, paru dans la collection Bouquins en 2019, il n'a pas vraiment essayé.

Fin du chemin de traverse.

Nous disions Répulsion. Un cas classique de schizophrénie. Donc, on parle de psychose, altération de la réalité. Curieux quand même que Polanski ne fasse pas la distinction entre névrose et psychose après avoir tourné ce film. Dans une entrevue qu'il donnait aux Cahiers du Cinéma (février 1966, numéro 175), c'est ce qu'il laisse entendre. Bizarre, puisque dans la même entrevue, il se glorifie d'avoir fait un film que tous les psychiatres trouvent vrai. Aucun de ceux-ci ne lui a souligné la différence océanique entre névrose et psychose ?

En visionnant à nouveau Répulsion, je ne pouvais pas éviter de faire constamment des liens avec Belle de Jour de Buñuel, réalisé deux ans plus tard, comme si cette dernière était la face diurne du personnage de Polanski, Belle de Nuit ?, qui habite plutôt les ombres de sa nuit psychique.


Belle de Nuit...Belle de jour : c'est le même personnage qui traverse les deux films : mêmes fantasmes de violences sexuelles; même appartenance au domaine de la psychose (hallucinations, résistance à la réalité) et en prime, même actrice; belle, blonde, froide, Catherine Deneuve quoi!

Affiche improbable pour Répulsion. Comment peut-on?














Critique. Cahiers du Cinéma. Mars 1966. Numéro 176. Victime et bourreau par Michel Carn.
Les 300 premiers numéros des Cahiers du Cinéma sur Archive.org

Berlin 1966. Ours d'argent et prix de la critique internationale

Visionné la première fois en novembre 1974, à la télévision à Montréal
En novembre 1974, où en étais-je ? : Je suis étudiant à la Maîtrise en Géographie à l'Université de Montréal, spécialisation en études urbaines. J'essaie de survivre financièrement en enseignant, très sporadiquement, le français, langue seconde, pour une école de langues qui fait affaires avec les grandes corporations anglophones de Montréal.
Mon 108ème film des 1001 films du livre de Schneider.
Mis à jour le 24 février 2023

23 novembre 2008

107. Eustache : La Maman et la putain

1001 films de Schneider : La Maman et la putain


Film français réalisé en 1973 par Jean Eustache
Avec Jean-Pierre Léaud, Bernadette Lafond, Françoise Lebrun

Ce film devrait s'intituler Le nouveau désordre amoureux.
Titre que Pascal Bruckner et Alain Finkielkraut ont donné à leur essai, publié en 1978, sur la remise en question de la révolution sexuelle amorcée à la fin des années 1960.

Cinq ans avant eux, Eustache écrit un film-essai sur la problématique de la relation amoureuse. L'héritage de la révolution sexuelle des années 60 est revu et corrigé par Eustache. Il remet en question les grandes tartinades de cette révolution : l'amour libre, le ménage à trois (plutôt deux femmes que deux hommes, évidemment!, le chauvinisme masculin n'ayant pas été touché par cette révolution), la maternité ringarde.

Il faut voir le personnage d'Alexandre (Jean-Pierre Léaud), d'un abyssal narcissisme et perclus d'un sexisme d'un autre âge, au temps du MLF, qui inonde littéralement les trois premières heures du film de ses envolées verbales, parsemées de blagues (comme on siffle en traversant un cimetière) ; il faut le voir, dans les dernières séquences, blessé narcissiquement, passer le phallus (comme on dit en psychanalyse pour signifier le pouvoir) à sa maîtresse (Françoise Lebrun, conjointe de Jean Eustache pour laquelle il a écrit ce film autobiographique) qui prend la parole pour ne plus jamais la remettre et qui, devant un Alexandre, finalement muet, à l'écoute, dresse un tableau des aspirations sexuelles et amoureuses de la femme d'après Mai-68 qui me semblent plus près de celles de la maman (tradition) que de celles de la putain (nouveau paradigme amoureux apparu dans les années 60).

Une juste remise en question du dogme ou de la doxa de la révolution sexuelle dans cet article. « Tout le monde couchait avec tout le monde ». Une entrevue de Dominique Simonnet de l'Express avec Pascal Bruckner, publiée le 15 août 2002

Quand j'ai vu ce film en 1974, bien que je nageasse en plein désordre amoureux, un mariage dans l'abîme, je m'étais royalement emmerdé. Disons que le personnage joué par Léaud et probablement Léaud lui-même me furent carrément insupportables. Alors cette émotion oblitéra tout le reste et Eustache m'est passé par-dessus la tête .

C'est en le visionnant à nouveau que j'ai découvert l'ampleur de cette œuvre même si le personnage de Léaud m'irrite toujours autant.

C'est une des plus grandes joies que me procure cette expérience de revoir les films du bouquin de Schneider; celle de découvrir des films que j'avais complètement ratés à l'époque à cause de différents facteurs : immaturité, passages de vie dissonants, indispositions physiques ou psychologiques, etc.

Lecture cinéphilique
Alain Bergala, L'hypothèse cinéma. Petit traité de transmission du cinéma à l'école et ailleurs. Petite bibliothèque des Cahiers du cinéma

Un excellent passage qui envoie le cinéphile vers un devoir exigeant mais incontournable si on veut accéder à l'œuvre d'un auteur : Revoir les films, un seul visionnement ne pouvant que présenter une vision tronquée de l'œuvre.

«...la première vision d'un film oblige d'aller d'un plan au suivant, d'une scène à la suivante, pendant le temps contraint d'une heure et demie. La première vision est mobilisée, pour l'essentiel, par la nécessité de comprendre l'histoire, de ne pas confondre les personnages, de situer chaque nouvelle scène, dans l'espace et le temps, par rapport à ce qui précède. En fait, cette première vision est consacrée à la "lecture" de l'histoire, aux significations. Ce n'est que dans les approches ultérieures du film qu'on pourra en goûter, plus sereinement, sans crispation sur la peur de ne pas comprendre, les véritables beautés artistiques. J'ai toujours été personnellement angoissé, en entrant dans un film au scénario complexe et aux personnages nombreux (ah! les films d'Ozu qui m'obligent, pour m'y retrouver, à écrire tous les personnages sur une feuille avec leurs liens généalogiques...), de ne pas arriver à comprendre l'histoire, de m'embrouiller dans l'identité et le rôle des personnages."

Critique. Cahiers du Cinéma. Mai 1982. Numéro 336. L'amour absolu du cinéma par Alain Philippon.

Berlin 1973. Prix du forum du nouveau cinéma
Cannes 1973. Grand prix du jury, prix de la critique internationale

Visionné la première fois le 21 avril 1974 au cinéma Outremont à Montréal
Lorsque j'habitais Outremont (entre 1982 et 1991) j'ai beaucoup fréquenté le cinéma Outremont, le meilleur cinéma de répertoire de Montréal. J'ai vu exactement 107 films dans cet ancien théâtre recyclé en cinéma et pris en charge par Roland Smith, le plus célèbre et le plus têtu (dans le sens "ne jamais lancer la serviette, quoi qu'on dise") cinéphile de Montréal.


Le cinéma Outremont dans les années 1970

Mon 107ème film visionné de la liste des 1001 films du livre de Schneider
Mis à jour le 28 janvier 2023

12 novembre 2008

106. Jodorowsky : El Topo

1001 films de Schneider : El Topo


Film mexicain réalisé en 1970 par Alejandro Jodorowsky
Avec Alejandro Jodorowsky, son fils Brontis, Mara Lorenzio

Dictionnaire Le Petit Larousse illustré, édition 2002
Salmigondis : n. m. Fam. Mélange confus et disparate. Ex. El Topo d'Alejandro Jodorowsky.

Ou bien :
"El Topo is fascinating for being a product of its time, a document of the lessons and philosophies people were then studying, and their fears, both conscious and unconscious" Adisakdi Tantimedh in 1001 Movies You Must See Before You Die.

Ou bien :
Descendu en flammes dans le numéro 264 (février 1976) des Cahiers du cinéma. « Chaque année nous ramène une avant-garde que l'appareil critique se hâte d'encenser d'autant qu'elle se comporte comme une bonne avant-garde doit le faire : donner au spectateur l'impression de participer à un bouleversement culturel sans pour autant le déranger. Jodorowsky nous déballe tous les stéréotypes, toutes les formes figées caractéristiques dudit genre. On tombe en pleine imagerie saint-sulpicienne revue par un surréalisme à l'usage des lycées et collèges. »

Ou bien :
John Lennon et Yoko Ono en firent leur film-culte et en promurent la distribution. Ils présentèrent la première du film dans un cinéma newyorkais, le Elgin Theater, à minuit le 18 décembre 1970, initiant ainsi la mode des "Midnight Movies". Il y resta plus d'un an.

Mon premier "midnight movie", un des plus célèbres à cause de la participation des spectateurs qui commentent à leur façon certaines scènes du film, fut The Rocky Horror Picture Show, vu le 25 avril 1987 au cinéma Laurier à Montréal.

Ou bien :
Jodorowsky : "The big benefit of this movie was I F.... all the girls I wanted"

Bon, je n'ai rien à ajouter sinon que, si vous visionnez ce film, vous auriez intérêt à remplacer votre pop-corn habituel par du "Acapulco Gold".

Critique. Cahiers du Cinéma. Février 1976. Numéro 264. Par Jean-Paul Simon
Les 300 premiers numéros des Cahiers du Cinéma sur Archive.org

Visionné la première fois le 13 février 1974 au cinéma à Québec
En ce jour, expulsion de l'Union soviétique d'Alexandre Soljenitsyne suite à la publication de L'Archipel du Goulag, marquant ainsi le début de l'effritement de l'empire soviétique. 
Mon 106ème film visionné de la liste des 1001 films du livre de Schneider.
Mis à jour le 24 février 2023

09 novembre 2008

105. Tati : Playtime

1001 films de Schneider : Playtime


Film français tourné en 70 mm et réalisé en 1967 par Jacques Tati
Avec Jacques Tati et des centaines d'acteurs non professionnels.

Pauvre monsieur Hulot. Toujours en rupture avec son environnement. Jamais intégré, toujours un pas à côté. Mais heureux, quand même.

Pauvre monsieur Tati. Toujours en rupture avec le courant cinématographique dominant. Jamais intégré, toujours un pas à côté, un pas en avant, diront certains, un pas en arrière, diront la plupart lors de la sortie de Playtime en janvier 1968.

Catastrophe au box-office, aucune distribution aux États-Unis, des investissements faramineux (le film français le plus cher jusqu'à cette date); alors le monsieur Tati, contrairement à monsieur Hulot, fut plutôt malheureux. Le trou financier, dans lequel sa compagnie de production plongea, mit fin, à toutes fins pratiques, à la carrière de Tati ; les films suivants étant plutôt en mode mineur en comparaison de sa production antérieure.

Date de sortie sur les écrans français : début 1968. Ce 1968 n'était pas disposé à accueillir un tel film, tout en finesse, en demi-sourires, en demi-teintes (tout est en noir, bleu, gris et blanc) dont tout le propos est dans la forme.

On était au beau milieu, probablement, de la période la plus bavarde, la plus gueularde, la plus revendicatrice du vingtième siècle. Alors on peut comprendre que les critiques et les spectateurs aient pu passer complètement à côté d'une œuvre hors de son temps, qui ne contestait rien, qui ne remettait pas la société en question (même pas l'architecture moderne, contrairement à ce que l'on pourrait croire) et, crime pour l'époque, démontrait une certaine sympathie pour les Américains.

Tativille
Tati, ne pouvant tourner à Orly ou dans l'édifice Esso de La Défense à Paris, a décidé de construire sa propre ville moderne. Il a choisi de créer d'immenses maquettes représentant des tours à bureaux sur des terrains désaffectés de la "zone", au sud-est de Paris. Il a englouti des sommes énormes dans la construction de sa ville. Personne ne voulant récupérer ces maquettes, tout a été détruit après le tournage : quelle horreur!















Lecture cinéphilique
"Have You Seen...?" A Personal Introduction to 1,000 Films de David Thomson.
Vous allez dire : "Pas encore une autre liste de meilleurs films". 
Beaucoup de ces listes sont constituées à partir de sondages auprès de la population, déniant ainsi toute crédibilité. En effet, pour établir une liste de meilleurs films, j'estime que les "sondés" doivent avoir vu au moins 5000 films (chiffre arbitraire mais qui me semble un minimum) couvrant toute l'histoire du cinéma. Sinon, on nage dans le vox populi, comme ces émissions d'informations qui installent leur caméra au coin de la rue et qui demandent aux passants s'ils sont pour ou contre la présence de bactéries dans le yaourt ou bien s'ils sont pour ou contre de donner à leur enfant le prénom Barack, comme si leur enquête avait une quelconque valeur scientifique.

David Thomson appartient, à l'instar de monsieur Cinéfiches (qui a vu plus de 20 000 films, rien que ça), à ce petit groupe de grands cinéphiles qui ont vu suffisamment de films pour créer une liste crédible. Leur liste feront partie, avec une vingtaine d'autres, de ma deuxième édition du palmarès des meilleurs films du 20ème siècle à paraître dans le courant de l'année 2009.

Critique. Cahiers du Cinéma. Février 1968. Numéro 198. Par Jean-André Fieschi.
Les 300 premiers numéros des Cahiers du Cinéma sur Archive.org

Cahiers du Cinéma : Dans la liste des 10 meilleur films de l'année 1967.

Visionné la première fois en 1973, au cinéma à Québec
Mon 105ème film visionné de la liste des 1001 films du livre de Schneider
Mis à jour le 28 janvier 2023

02 novembre 2008

104. Bergman : Cris et chuchotements

1001 films de Schneider : Cris et chuchotements


Film suédois en rouge et blanc réalisé en 1972 par Ingmar Bergman
Avec Harriet Andersson (Agnès), Ingrid Thulin (Karin), Liv Ullmann (Maria), Kari Sylwan (Anna)

Détresse et désespoir.
Il n'y aura plus jamais la joie pour les survivants.

Un des films les plus noirs, les plus tristes, les plus désespérés qu'il m'ait été donné de voir. Je ne peux pas sortir de ce film sans être, à chaque fois, perturbé pendant un certain temps.

Tant d'amour et de haine autour d'une femme, la cadette de la famille, qui agonise et meurt dans des souffrances à la limite du supportable. Une prestation d'Harriet Andersson qui me bouleverse aux larmes avec, constamment en mémoire, sa prestation de jeune fille désinvolte, mordant dans la vie dans Monika de ce même Bergman, 20 ans auparavant.

Pour paraphraser le célèbre adage d'André Gide : "Famille, on se hait", voilà le thème principal de cette œuvre. Au début, on est effrayé par la longue et douloureuse agonie d'Agnès (Harriet Andersson) puis, lentement, on découvre que l'horreur est ailleurs. Il est dans l'absence d'amour, voire dans la haine, que les deux sœurs survivantes distillent autour d'elle. Cette froideur de sentiment nous glace littéralement dans les dernières séquences du film. C'est là que résident, finalement, la détresse et le désespoir.

A contrario, comme pour accentuer ce dysfonctionnement émotionnel, Bergman, par l'entremise d'Anna, la bonne, nous fait vivre des moments de compassion comme il nous en a rarement montrés dans ses autres œuvres. Le point culminant étant atteint dans ce plan nous montrant Anna qui tient dans ses bras Agnès, agonisante. En voyant cette prière cinématographique, j'aurais presque le goût de revenir aux croyances catholiques de mon enfance. 

La pìetà de Michel-Ange

La pietà de Bergman

Anthologique
Les dix premières minutes du film : chef d'œuvre esthétique. Sven Nykvist au sommet de son art : Rouge omniprésent, cinq plans fixes à la Ozu, des tic tacs et des sonneries de pendules ("...la pendule d'argent qui ronronne au salon, qui dit oui qui dit non, qui leur dit: je t'attends; qui ronronne au salon, qui dit oui qui dit non et puis qui nous attend" Les vieux de Jacques Brel), du rouge partout sauf la jaquette toute blanche d'Agnès qui se réveille. Dans son regard, pendant quelques secondes, elle habite encore un monde dans lequel elle est heureuse et bien vivante, puis le retour de l'horreur de sa condition de malade en phase terminale.

J'ai vu ce film en 1973, j'avais 27 ans : il m'était complètement passé par-dessus la tête et à côté du cœur. Il n'avait laissé aucune trace dans mon expérience de cinéphile. Mais le revoir aujourd'hui, c'est une tout autre expérience. La puissance de la charge émotionnelle transportée par ce film est tout simplement dévastatrice. On n'en sort pas indemne. Comme quoi si la violence "is no country for old men" (dixit les frères Coen), la sensibilité, par contre, devient de plus en plus, leur univers.

Pour toutes les Agnès, Maria et Karin de ce monde, cette chanson de Coldplay, Fix You, un baume pour le cœur.


Oscars 1974. Sven Nykvist, meilleure cinématographie
Cannes 1973. Grand prix technique

Visionné la première fois le 2 décembre 1973 au cinéma à Montréal
Mon 104ème film visionné de la liste des 1001 films du livre de Schneider
Mis à jour le 28 janvier 2023