31 mars 2008

81. Antonioni : Le Désert rouge

1001 films de Schneider : Le Désert rouge


Film italien réalisé en 1964 par Michelangelo Antonioni 
Avec Monica Vitti, Richard Harris, Carlo Chionetti

Commençons par la fin. Écologie. 
La dernière séquence : Giuliana (Monica Vitti) se promène avec son jeune fils dans le "désert rouge" d'une friche industrielle.

Dialogue
Fils : Pourquoi cette fumée est-elle jaune? (montrant du doigt la fumée sortant d'une cheminée d'usine)
Mère : Parce qu'elle est empoisonnée.
Fils : Alors, si un petit oiseau vole à travers elle, il mourra.
Mère : Depuis le temps, les petits oiseaux ont appris à ne plus voler à cet endroit.

Impossible de ne pas faire le lien avec le premier et le plus célèbre volume traitant des graves désordres écologiques causés par l'industrialisation écrit par la biologiste américaine Rachel Carson, The Silent Spring, publié en septembre 1962. Ce volume fut le premier cri d'alerte destinée à l'ensemble de la population concernant les problèmes écologiques. Le printemps silencieux, c'est l'absence des oiseaux qui ne reviennent pas parce que l'environnement est délétère. Il faut lire l'introduction de ce volume qui nous présente ce qui nous attend si la tendance à la destruction de l'environnement perdure. Ce petit texte de trois pages, que vous devez lire, A Fable for Tomorrow, est le 1984 de l'environnement.

Antonioni était-il au courant de cet écrit au moment de la réalisation de Il deserto rosso, tourné en 1963? On peut en douter. Ce qui donne un caractère encore plus prémonitoire mais aussi avant-gardiste à ce film qui décrit les désastres de la pollution industrielle.

Ce qui est aussi fascinant c'est de voir que les critiques de l'époque n'abordent pas cette question. Dans les Cahiers du cinéma numéro 159 d'octobre 1964, Jean-Louis Comolli réussit le tour de force, en 3 pages de critique, à ne jamais aborder la question écologique pourtant omniprésente dans le film. Mais voilà, la question écologique ne faisait pas partie des composantes de l'idéologie occidentale de l'époque.

Mais pour nous, en 2008, la composante écologique du film nous saute en pleine figure comme nous apparaissent tout à fait bizarres ces personnages des films noirs accrochés à leur cigarette alors que c'était la norme à l'époque et qu'un spectateur d'alors n'aurait sûrement pas remarqué.

En 1971, lors du premier visionnement de ce film, je ne suis même pas certain que je connaissais le mot écologie; il est certain que la question environnementale ne me préoccupait aucunement. La pollution de l'environnement faisait partie de la vie du siècle; c'était une fatalité avec laquelle il fallait vivre. Une rivière était considérée comme un lieu de remisage de tous les déchets.

Dans le quartier Limoilou à Québec, où j'ai vécu mon enfance, il y avait une rivière, la St-Charles, qui servait d'égout et de poubelle, en plein cœur de la ville. Personne n'approchait ses rives, infestées de rats et comblées de déchets industriels.

Je me souviens d'un événement hautement surréaliste attaché à cette rivière. Mon grand-père d'origine italienne, statuaire de métier, avait dû cesser sa production de statues religieuses en plâtre, suite au concile de Vatican II en 1962 qui préconisait l'abandon des rites liées aux statues. Ne pouvant plus vendre de statues, il ferma boutique. Mais que faire du lourd inventaire de statues s'entassant dans les caves de la "shop". Celle-ci étant située à deux pas de la St-Charles, la solution apparut évidente : balancer l'inventaire dans la gueule gourmande de ce dépotoir aquatique. C'est ainsi que depuis plus de 40 ans, des dizaines de statues, couchées dans le lit de la rivière, regardent passer des embarcations de plaisance lors des beaux jours. 

Résumé du film. Faisons court.
"Déshumanisation progressive du monde et du paysage." tiré de Des Yeux pour voir de Jean-Louis Bory, critique que j'adore et bouquin incontournable quant au cinéma des années 60. Lourd, le film.

Premier film en couleurs d'Antonioni.
Tant de couleurs en à-plat pour décrire un paysage industriel répugnant mais aucune couleur pour le paysage naturel : pas de soleil, plein de brouillard, grisaille de novembre, on pense à Brel du Plat Pays, "avec un ciel si bas qu'un canal s'est pendu" "avec un ciel si gris qu'il faut lui pardonner".

Richard Harris : très mauvais casting. On a l'impression qu'il s'est trompé de film. Il dort au gaz. On rêve de Mastroianni dans ce rôle, ou bien le Delon de L'Éclipse.

Lecture cinéphilique
Pierre Braunberger, Cinémamémoire. Les mémoires d'un des plus grands producteurs de films français; de Jean Renoir à Jean-Luc Godard.
Il arrive quelquefois qu'on se plante royalement dans l'évaluation d'un film. Consolons-nous en lisant ce qui suit, extrait du livre de Braunberger.

Celui-ci raconte :"... nous passons devant le Colisée (cinéma) où l'on donnait pour la première fois Quai des brumes. Je dis à Jean Renoir : "Nous avons le temps. allons le voir." Il accepte. Au bout de 20 minutes, de sa grosse voix traînante, il s'exclame très fort : "Qu'est-ce que c'est que ce film? C'est une mise en scène de merde. Ce n'est pas le Quai des brumes, c'est le "le cul des brêmes" que tu m'as emmené voir". Je ne savais plus comment faire et lui dis : "Chut Jean, c'est un très beau film... tu ne peux pas faire ça..." Il continue : "Mais c'est vraiment de la merde ce truc-là. Quelle connerie!". Nous avons été obligés de sortir, tant il faisait de scandale. J'ai revu le film, seul, le lendemain... avec une grande joie."

Critique. Cahiers du Cinéma. Octobre 1964. Numéro 159. Par Jean-Louis Comolli. Février 1965. Numéro 163. Pas de printemps pour la prisonnière du désert par Jean-André Fieschi.
Les 300 premiers numéros des Cahiers du Cinéma sur Archive.org

Cahiers du Cinéma : Dans la liste des 10 meilleurs films de l'année 1964
Venise 1974. Trois prix : Lion d'or, prix de la critique, nouveau cinéma

Visionné, la première fois, le 29 août 1971 à la télévision à Québec
Mon 81ème film visionné de la liste des 1001 films du livre de Schneider
Mis à jour le 21 janvier 2023